Le sujet de l’application de la TVA ou non aux cessions ou acquisitions d’immeubles a toujours été porteur d’incertitudes et d’interrogations tant il peut peser sur l’équilibre financier d’une opération.
Cet article visera spécifiquement l’opération, en pratique fréquente, de l’acquisition en régime « marchand de biens » d’un immeuble bâti, de sa mise en location assujettie à la TVA et de sa revente à un investisseur heureux d’acquérir un bien immeuble loué avec, si possible, une signature de qualité et l’assurance d’une rentabilité immédiate de son investissement.
Écartons la mise en location d’immeuble destiné à l’habitation pour se consacrer à la cession d’un immeuble cédé accompagné d’un bail commercial en bonne et due forme.
Il conviendra toujours d’aborder ce type de sujet en se posant la question fondamentale suivante : le bien acquis l’a-t-il été avec TVA ou non ?
Il faut également en revenir aux principes : la vente d’un immeuble porté en stock par un professionnel constitue une activité économique soumise à la TVA et la taxation est de droit sur cette opération.
Quid de l’exonération réservée aux cessions d’immeubles loués assimilés à la cession d’une universalité de biens?
Les dispositions de l’art. 257 bis du Code Général des Impôts entraînent, de plein droit, l’exonération de TVA sur la cession d’un immeuble lorsque celui-ci est loué et lorsque ses loyers sont assujettis à la TVA. Corrélativement, l’acquéreur est considéré comme reprenant la charge de régulariser la TVA antérieurement déduite par le vendeur par 20ème si la primo acquisition ou construction ou livraison à soi-même avait été assujettie à la TVA. Ainsi, cette charge peut potentiellement être importante lorsqu’il s’agit d’un immeuble récent et si l’acquéreur a acquis ce bien pour le revendre rapidement, il devra en tenir compte de la fixation ultérieure du prix de seconde cession ou si la location de l’immeuble sort du champ d’application de la TVA (immeuble transformé en logement par exemple). Cette exonération de plein droit (donc sans option ou renonciation possible) peut s’avérer pénalisante.
Mais l’administration fiscale a précisé que ce texte ne concernait que les immeubles offerts à la location et inscrits à l’actif du bilan au poste « immobilisations ». En effet, l’esprit du texte de l’article
257 bis du Code Général des Impôts consiste à ne pas peser sur la cession d’une activité « commerciale » soumise à TVA lorsque l’acquéreur continue l’exploitation, la TVA devant rester parfaitement neutre dans ce type d’opération.
En revanche, qu’en est-il lorsque l’immeuble va être acheté sous le régime de l’article 1115 du CGI avec une intention de revendre le bien ?
Dans cette situation et sur un plan comptable, l’immeuble dès son acquisition a été intégré au stock (actif circulant) du vendeur et n’est donc pas affecté à l’exploitation.
En revanche, il aurait été porté au rang des biens immobilisés si son acquisition et sa détention l’avaient été dans le but de procurer régulièrement et de façon pérenne des ressources à son acquéreur. Partant, il aurait également pu être amorti (à l’exception de la quote-part représentant la valeur du terrain).
Alors, quel sort réserver aux immeubles acquis avec l’intention de les revendre mais néanmoins loués pendant la période de « portage », pour permettre d’en amortir le coût financier, lorsque l’activité de locations d’immeubles industriels ou commerciaux ne constitue pas l’activité principale de la société ?
L’analyse conduit à avancer que pour qu’une telle cession d’immeuble « bénéficie » d’office des dispositions de l’art. 257 bis, il faudrait que l’activité de marchand de biens soit cédée en comprenant le stock immobilier.
Décision de rescrit du 26-12-2006 n° 2006/58 (TCA) ;
BOFIP TVA 2018 (aller au § 285)
Dès lors, on peut affirmer que ce type de vente immobilière d’un immeuble bâti, loué, figurant dans les stocks d’une société ayant choisi de placer son acquisition initiale sous le régime dit des « marchands de biens », prévu par l’article 1115 du Code Général des Impôts, ne pourra pas faire l’objet d’une exemption de TVA relevant de l’article 257 bis du même code.
Alors certes, dans ce paysage complexe, une décision récente de la Cour Administrative de LYON est venue infirmer la doctrine administrative. Il faut toutefois relativiser cette décision qui, inédite, n’a pas été publiée au recueil Lebon. Cela en fait, selon l’auteur du présent article et à ce stade, un arrêt d’espèce.
Que dit cet arrêt ?
La Cour de LYON a jugé (CAA LYON 1er avril 2021) que, dans le cas de la cession d’un immeuble comptabilisé en stock par un marchand de biens, cette vente pouvait, contrairement à ce qu’avançait l’administration fiscale, bénéficier de l’exonération de TVA prévue par l’article 257 bis du Code Général des Impôts à partir du moment où l’immeuble cédé était vendu occupé avec des baux commerciaux en cours repris par l’acquéreur.
Conclusion : l’application de la doctrine de l’administration fiscale s’impose aux agents et vérificateurs fiscaux.
En revanche, elle n’est pas opposable au contribuable mais s’impose à l’administration fiscale elle-même lorsque le contribuable (ou redevable) l’invoque en sa faveur.
Au cas particulier, cette doctrine apparaîtra défavorable aux redevables cédants lorsque la cession, écartée du dispositif d’exemption prévu par l’article 257 bis du Code Général des Impôts, pénalisera le coût de la cession en déclenchant le reversement par 1/20èmes de la TVA déduite sur l’achat de l’immeuble et par 1/5ème de la TVA déduite sur les autres biens meubles et services ayant grevé l’acquisition, la remise en état ou le simple maintien de l’immeuble cédé et que l’acquéreur ne souhaite pas que cette opération de cession soit assujettie à la TVA sur le prix total.
Eric GARDIN
Avocat au Barreau de Lille
1 Les dispositions de l’article 257 bis du CGI permettent en effet de ne pas soumettre l’opération à la TVA mais ne déclenchent pas l’obligation, pour le cédant, de régulariser la TVA déduite en amont, cette obligation de régularisation étant seulement transférée à l’acquéreur